Histoire à bord du d'Entrecasteaux par Louis Desneux
Monsieur Louis DESNEUX était un milicien de la classe 1924
Pour commencer, je vais vous raconter la naissance du corps des torpilleurs et marins.
Il, a débuté au port d'Anvers après la guerre 1914-1918 par quelques bateaux allemands
reçus en dommage de guerre. C'était le détachement des torpilleurs et marins. Envoyé à Bruges, il prit la dénomination de corps des torpilleurs et marins.
Il se composait du croiseur d'Entrecasteaux, de huit torpilleurs, quelque vedettes et remorqueurs, sans oublier la flottille du Rhin qui était toujours en service. Tous ces bateaux formaient notre flotte côtière.
Lors des exercices de DCA, ils se rendaient utiles en écartant les bateaux qui se trouvaient dans la zone de tir.
Notre flotte se trouvait dans l'ancienne base des sous-marins allemands de la guerre 1914-1918. On pouvait encore y voir les gros abris qui les protégeaient. Ces abris furent détruit avant l'arrivée des allemands en 1940.
Le chef de corps était le colonel Renaud, officier d'arme (campagne 1914-1918), était grand et avait la mine sévère.
Son second était le lieutenant colonel Fabry, homme affable. Ils portaient la tenue kaki.Les autres portaient la tenue des marins français et nous donnaient l'instruction d'infanterie sur place. Les clairons avaient les mêmes sonneries que l'infanterie. Pierre Charles, ex champions de boxe en faisait partie.
Des gradés de la marine française nous donnaient l'instruction maritime. Notre tenue
était copiée sur celle des quartiers-maîtres français avec la différence du pompon qui était
rouge pour les Français et bleu pour les Belges.
En 1924, j'étais occupé à la fonderie Royale des canons de Liège, en qualité d'ajusteur.
Comme je devais effectuer mon service militaire, je fis la demande de continuer mon métier à l'armée, ce qui me fut accordé le jour de l'incorporation. Etant donné que j'avais le choix, j'ai demandé à être affecté au corps des torpilleurs et marins. Quelques temps après je reçu mon ordre de rejoindre l’unité, et c'est en gare de Bruges que j'arrivai le 15 octobre 1924.
A la sortie de la gare, des marins en armes commandés par deux Premiers Maîtres, nous attendaient. Deux marins portaient une pancarte 1ère compagnie et 2ème compagnie.
On nous fit mettre en rang par compagnie et ce fut le départ pour le dépôt.
Là, on nous remit un sac blanc contenant notre équipement. Après on nous fit signer la feuille et le fourrier nous dit :
« Si l'équipement n'est pas a votre taille, faites l'échange entre vous » !
Après cela, toujours au dépôt, nous avons reçu notre premier repas. Il consistait en un morceau de pain gris et une tranche de viande en boite.
Heureusement, nous avions mieux dans notre valise.
Ensuite, le sac sur l'épaule, nous avons pris le chemin du Port et c'est en fin d'après-midi que nous arrivâmes au débarcadère de la base, face au croiseur d'Entrecasteaux ancre au milieu du port.
Là, comme accueille, personne pour nous recevoir. Notre embarquement a été un peu retardé étant donné que ce jour là on remplissait les soutes à charbon. Qu'elle poussière, ils auraient
pu choisir un autre jour pour faire ce travail. Comme joyeuse entrée se fut réussi !
Avant d'embarquer, voyons un aperçu historique du croiseur d'Entrecasteaux. Il porte le nom
d'un célèbre marin français (1739-1793).
Il a participé à la bataille pour la concession de la Chine.
Sur le pont, une plaque avec l'inscription Hong Kong en témoigne. Au temps de son activité,
il était armé de trois canons à bâbord et de trois à tribord, plus deux autres sur le pont .
Le croiseur était déclassé et désarmé, il se trouvait dans un port français. Il fut remis à la Belgique, à titre de prêt et servit de croiseur école. Comme nous n'avions pas de caserne, il servit pour loger les marins. Les machines n'étaient plus en état de marche,
et dût être remorqué d'un port français jusqu'à Bruges par le remorqueur WILMA.
Il était assez délabré et infesté de rats. Après nettoyage et repeint à neuf, il reprit belle allure, avec sa haute structure et ses 125m de long.
Ceci dit, on nous embarqua avec un bac, comme s'en servent les passeurs d'eau.
Quand tout le monde fut à bord, on nous dirigea vers un magasin ou l'on nous remis deux couvertures neuves (peu de temps après, on nous les repris pour nous en rendre deux usagée !).
Par la suite nous reçûmes une toile de hamac et des cordages pour le monter.
J'avais le n°356 tribord et j'étais de la batterie basse.
Cette chambre était dépourvue de hublot et de chauffage, seules les deux portes nous donnaient air et lumière. Un ancien me pris en charge pour me monter mon hamac et me montrer ou je devais placer mon sac d'équipement.
Comme on m'avait prévenu qu'il y avait des pickpockets, j'ai placé une chaîne et un cadenas à mon sac.
On fit le rassemblement sur le pont pour l'appel du soir et après quelques recommandations,
on cria au hamac (cela voulait dire que la journée était terminée et que l'on pouvait accrocher son hamac).
A 6 heures le clairon nous réveilla, je n'avais pas passé une bonne nuit, il faut avoir l'habitude pour dormir dans un hamac.
Sitôt debout, il fallait le replier dans le bastingage sur le pont. Souvent par mauvais temps, on le retirait bien humide.
Pour faire sa toilette du matin, pas d'évier ni de robinet. Un simple tuyau percé de trous et placé à deux mètres de haut envoyait un jet d'eau à gauche et à droite. Quand on avait fini de se laver, le bas du pantalon était tout mouillé.
Pour prendre son bain, on avait transformé une casemate à canon en douche avec le même système de tuyaux perforés, mais en plus grand nombre. On y entassait une trentaine d'hommes puis, une fois déshabillé, on ouvrait la vanne d'eau. Parfois, avec la vapeur, on se croyait dans un bain turc.
Par la suite, je me suis aperçu qu'il y avait un compartiment avec évier et robinet, il se trouvait près des machines et était réservé aux hommes de quart.
Pour ma part, je me levais un peu avant la sonnerie du clairon et j'allais me laver là. Il y avait tant de rats dans ce compartiment que je devais faire beaucoup de bruit pour les chasser avant d'entrer.
Les rats sortaient quand il faisait calme, il y avait partout on les voyait courir le long des tuyaux et sur les poutrelles qui soutenaient le plafond ou l'on accrochait son hamac. La soute à voile en était infestée. Il n'y avait pas de service d'hygiène pour les casernes.
Maintenant, parlons du mobilier, il était réduit à sa plus simple expression. Nous n'avions que le caisson ou nous remisons notre sac d'équipement. Il n'y avait pas de vaisselle à bord, nous avons dû manger dans notre gamelle pendant toute la durée de notre service.
Les tables et les bancs étaient démontables et après le repas devaient être replacés au plafond. Alors, il n'y avait plus rien pour s'asseoir.
La cuisine était sur le pont. Elle fut reconnue insalubre et remplacée par quatre cuisines roulantes de campagne.
Elles furent placées sur le pont, deux à tribord et deux à bâbord.
La cuisine que l'on nous préparait n'était appréciée de personne, c'était une nourriture de prisonnier, vous pourrez en juger d'après le menu, qui était le même toute l'année.
Le matin on recevait 1/5 de pain gris, 2 sucres et du café de mauvaise qualité (jus de chaussettes). Quelque fois le pain était remplacé par des biscuits de soldat.
A midi, soupe aux féculents et légumes, souvent mal cuite, bien préparée, elle aurait été bonne.
Ensuite, pommes de terre mélangées avec une sauce vinaigrette pas de légumes, ils étaient dans la soupe ? Un morceau de bouilli souvent trop gras, un morceau de pain, pas de boisson. Le repas du soir idem.
Maintenant, je vais vous donner la recette pour les pommes de terre. On les versait dans un grand chaudron, alors on ajoutait une sauce et deux bouteilles de vinaigre. Le tout était mélangé avec une rame, comme ça on pouvait dire pommes de terre marinées !
La cuisine n'était pas équipée pour préparer la nourriture pour tant d'hommes.
Les gamelles et les petites marmites étaient lavées dans l'eau qui avait servi a cuire les pommes de terre, puis les marmites étaient remisées à la cambuse.
Elles étaient numérotées, gare à celui qui les rentrait mal nettoyées.
La cambuse était un compartiment avec des étagères ou l'on devait remiser les marmites d'après leurs numéros.
J'ai fréquenté les cantines d'autres régiments, le menu changeait tous les jours, il était de meilleure qualité et était servit comme aux restaurants.
Puisque les autres régiments pouvaient faire mieux avec le même budget, vous penserez comme moi, que les responsables de la cuisine réalisaient de bons bénéfices sur notre dos.
Maintenant, revenons à notre début.
Après avoir passé notre première nuit sur le bateau, nous voilà au rassemblement. On nous divisa en petits groupes, chacun accompagné d'un instructeur, on nous fit faire la visite du croiseur. Je vous ferai grâce de trop de détailles, ce qui m'avait le plus impressionné, c'était le carré des officiers. Il se trouvait à la plage arrière et couvrait toute la largeur du croiseur. Le mobilier était luxueux, tout en acajou et le fond des fauteuils et les tapis en velours rouge.
Quel contraste, avec les marins qui n'avaient même pas un banc pour s'asseoir en dehors des repas.
Ensuite, ce fut la visite des sinistres cachots, ils se trouvaient dans la cale, de véritables cages à fauves ou l'on ne pouvait même pas se tenir debout, l'air était vicier, il sentait la moisissure.
Heureusement, c'était pour le temps passé, celui des matelots qui devait purgé une peine de cachot était conduit au 4ème de Ligne à Bruges ou à BEVERLOO.
Une chose qui avait retenu mes attentions, c'était l'appareil qui servait à mesurer le roulis.
Il était de grande dimension et se trouvait entre la batterie basse et les machines. Il se composait d'un secteur gradué et d'un index qui s'appuyait sur un balancier. Le quartier maître français nous donna l'explication et nous montra la cote d'alerte.
L'après-midi et les jours suivants, nous avons fais quelques petits travaux : matriculé notre équipement, coudre les insignes etc.
Entre temps un sous-officier faisait notre feuille de signalement. Un autre nous faisait passer un examen écrit. Le plus pénible fut le jour des vaccinations, nous avions après le bras et l'épaule ankylosée avec enflure à l'omoplate. A cause de cela, nous avions beaucoup de peine
à nous hisser dans la hamac.
Celui qui attrapait 10 rats recevait 24 heures de permission supplémentaire !
Il devait montrer ses 10 rats au fourrier et celui-ci les faisait jeter dans l'eau par le hublot.
Parfois un autre marin attendait dans une embarcation pour les repêcher.
J'allais oublier de parler des latrines. Elles se trouvaient sur le pont avant, sans porte, elles se composaient d'une rigole, d'une grille pour les pieds et d'accoudoirs, mais sans séparations, vous voyez le spectacle. Une fois la rigole remplie, on ouvrait une vanne d'eau.