Les observations des premiers explorateurs nous ont appris que bien avant leur venue, les eaux du lac étaient sillonnées par de nombreux "dhows" arabes (Fig.28), dans lesquels ont entassait hélas, les pitoyables esclaves enchaînés au milieu de ballots de marchandises et de pointes d'ivoire.
Ce type de voilier, que l'on rencontre encore fréquemment en mer Rouge et dans l'Océan Indien, était construit au TANGANYKA par des artisans arabes venus de Zanzibar ou de la côte, suivant des plans qui sont sans doute les plus anciens du monde.
Leur tonnage était cependant plus réduit que celui de leurs frères marins. Il ne dépassait pas une vingtaine de tonneaux. Leur arrière surélevé en forme de tillac protégeait une seule cabine. Ils ne portaient qu'une grande voile triangulaire, qui ne leur permettait guère de naviguer près du vent.
Ils étaient montés par des Arabes, fortement matinés de nègre et commandés par des capitaines au pouvoir sans limites .Leur instinct, leur connaissance du ciel, des vents et des eaux, leur foi inébranlable en Allah, le tout-puissant, ne leur laissaient aucune crainte de la traîtrise des éléments. C'étaient tous d'excellents marins
En guise d'anecdote Edouard FOA, dans son livre:
De l'Océan Indien à l'Océan Atlantique - La traversée de l'Afrique - du ZAMBEZE au Congo Français" , nous raconte une de ses traversées sur les eaux mouvementées du TANGANYKA :
"... A peine sommes-nous en route que le vent devient violent.
Ali ben SLIMAN passe la nuit entière sur le pont; je reste avec lui et lui tiens compagnie; il craint une tempête: le ciel est noir, et quelques éclairs font prévoir un orage. La première partie de la nuit se passe sans plus de gravité, mais la mer est très grosse et l'ouragan arrive; le pont est balayé violemment par les vagues; le malheureux boutre est horriblement secoué; trempés jusqu'aux os, le capitaine et moi, nous nous cramponnons avec difficulté aux agrès: le vent ayant changé, force nous est de courir devant lui vers le sud, abandonnant notre direction première; nous essayons de rejoindre la côte E., notre seul refuge... Jusqu'à l'aube j'ai craint à chaque instant que nous ne fassions naufrage: un coup de barre malheureux, une rafale plus impétueuse, et l'expédition sombrait dans les profondeurs insondables du TANGANYKA! Vers le matin nos craintes se dissipent; la bourrasque se calme un peu, tandis que la côte est en vue; cahotés, désemparés, inondés et meurtris, nous gagnons à grand peine une crique où vingt-quatre heures se passent à réparer les avaries. Nous ne repartons pour KALUNGA que le lendemain par un temps plus clément. J'ai calculé que pendant cette terrible nuit la force du vent nous avait fait faire environ 70 milles (112 kilomètres) en un peu plus de six heures!
Ali me raconte qu'il a déjà fait naufrage une fois dans de pareilles conditions; il me cite dix-huit boutres qui ont coulé ainsi dans les quinze dernières années, surpris par une tempête, avec leur chargement d'ivoire et d'esclave. Il est évident que ces embarcations, si bien qu'elle se comportent, doivent beaucoup souffrir par le gros temps.
Si l'on pouvait faire la statistique des désastres maritimes de cette mer intérieure, on arriverait à un chiffre important: le fond du TANGANYKA doit être jonché d'ivoire naufragé! Dans plusieurs endroits, les indigènes, en plongeant, ont ramené des dents d'éléphant, et ces recherches deviennent une industrie exercée par certaines peuplades. Les crocodiles énormes que l'on trouve dans le lac doivent pourtant rendre fort dangereuses ces explorations sous-marines ".
En dehors des dhows, le souvenir des premiers explorateurs nous éclaire encore sur l'existence de grandes pirogues qui, qui en plus de charges les plus diverses, pouvaient porter jusqu'à 16 robustes pagayeurs.