L'Hirondelle
Chaloupe canonnière
L'Hirondelle, l'Argus et Minerva
Fiche technique
Chantier de construction Aciéries de Bruges
Lancement en 1900
Tirant d'eau 2,60 mètres
Tonnage 120 tonnes
Dimension
Longueur 35 mètres
Largeur 5,90 mètres
Puissance 250 chevaux
Machine
Verticale à triple expansions Gillans Tirlemont
Vitesse 10,67 nœuds à 11 nœuds
Armement
En 1904
1 canon de 5.7 mm Nordenfelt-Maxime à tir rapide
En 1920
2 canons de 37mm à tir rapide, sur affût à chandelier modèle 1910 et 2 mitrailleuses.
Equipage 21 hommes
Souvenir d'un artilleur à bord de l'Hirondelle
C'était vers 1904. Etant en garnison à Ostende, j'appris que des tirs d'essai allaient être faits dans la grande rade à bord d'un petits bateaux de la police du port d'Anvers, l'Hirondelle, comme artilleur, la question m'intéressait et j'obtins d'assister à l'expérience.
A deux heures, j'arrivais au quai de la Gare Maritime, point choisi point choisi de ralliement. Le temps, très beau le matin, se gâtait, le vent sifflait un peu, et au loin la mer se couvrait de rides de mousse. Je ne tardais pas à voir arriver les autorités. C'étaient les hauts dignitaires de la marine, des travaux publics, de la guerre, des ingénieurs, celui que l'on appelait "notre amiral" et quelques favoris.
Leur face montrait à l'évidence que le déjeuner, fait sur les généreux frais de route alloués à tout fonctionnaire en déplacement, avait été abondant et était en voie de digestion.
Une discussion longue et assez aigue surgit alors. Les uns, estimant le temps trop défavorable pour leur digestion et pour le bon résultat de l'essai, les autres, les vrais marins, montrant qu'ils étaient un peu là et que la tempête, cela les connaissait. Bref, on s'embarqua.
La main au bonnet de police, le sous-officier d'artillerie de forteresse détaché avec ses 6 hommes pour assurer le service de la pièce reçut les personnalités à la coupée. Sur un coup de sirène, le petit vapeur se mit en mouvement.
Tout alla bien au début, on passa en revue l'équipage, d'énormes gaillards qui avaient l'air bon comme du pain, puis tous les yeux se tournèrent, avec un certain respect, vers le canon de 5.7 et les brillantes cartouches préparées pour le tir. Cette fois, il n'y avait pas à en douter, on était sur un navire de guerre, cela se sentait!
Le pavillon belge, flottant en haut du mât, par un effet d'optique, s'allongeait en flamme de guerre.
Comme je l'ai dit, l'artillerie de l'Hirondelle comprenait un canon de 5.7 Nordenfeld à tir rapide. La pièce, qui était portée par un affût à chandelier, provenait d'un des coffres de contre escarpe d'un des forts d'Anvers et elle avait été boulonnée sur le pont.
Cette disposition de tir me laissa pensif. Sans être grand artilleur de marine, je savais que sur les navires de guerre, toute artillerie légère, jusqu'au calibre 150, doit forcément être disposée, soit sur un affût à crosse qui permet au pointeur de se rendre indépendant des oseillation du navire, soit posséder un dispositif jumelé de pointage en hauteur et en direction qui permet de lâcher le coup exactement quand la ligne de visée passe par le but.
En résumé, sur un navire de guerre, sauf la grosse artillerie, tout canon est mis sur un affût qui permet au pointeur-tireur de lâcher son coup comme le fait le chasseur derrière un lièvre. Il me parut bien évident que le petit 5.7 de petit artilleur pesait si peu dans la grande balance des compétences.
J'en étais là de mes réflexions, quand, soulevé par une vague, l'Hirondelle, d'un bond, dépassa l'estacade et entra dans la danse.
C'était la mer cette fois. La principale autorité fit connaître le thème de l'exercice: "La guerre était déclarée par l'Allemagne (nous savions tous dans l'armée qu'il est impassible de lacher un coup de canon ou un bataillon à l'exercice sans mettre en guerre, sur le papier, la moitié de l'Europe). Au loin, on montra la cible, toutes les jumelles s'y fixèrent. A quelque 3.000 mètres, un grand panneau noir dansait sur une barquette.
Déjà les belles couleurs du déjeuner s'effaçaient sur certaines faces et nos braves artilleurs de forteresse, qui n'avaient jamais quitté le plancher des vaches, devenaient inquiets. Certains rappelèrent leur avis avant l'embarquement, mais on avait jeté son va-tout et il fallait pour l'honneur aller jusqu'au bout.
Le branle-bas de combat fut sonné, la culasse claqua et le petit 5.7 avala d'un coup la cartouche brillante, une réelle émotion s'était peinte sur la face de ceux qui n'avaient jamais entendu de près hurler un canon. Sur mon conseil, les "autorités" bouchèrent les oreilles et, ouvrant la bouche, montrèrent leurs 32 dents ou ce qui en restait.
"3.000, Tir à volonté." On avait expliqué au brave premier pointeur, dont la ligne de visée dansait la plus folle des sarabandes, qu'il devait lâcher le coup au moment où le but se présenterait dans la ligne du guidon et cran de mire. Mais, va te faire fiche, le petit canon tantôt pointait sa gueule au zénith, tantôt piquait la mer à 10 mètres du bord. Le pauvre artilleur y perdait son latin, jamais il ne s'était trouvé devant un pareil problème. Le temps passait, et chacun songeait déjà au retour, on devenait nerveux, on grognait contre l'armée qui ne savait pas dresser ses hommes, le sous-officier insistait auprès du pointeur, sentant sa situation menacée.
Tout à coup, un hurlement déchira l'air, l'obus était parti! Malheureusement, le brave artilleur avait pressé la détente au moment où une irrésistible vague lançais le canon vers la verticale! Lâché sous 45°, l'obus filait vers la grande mer.
L'émotion fut intense. Subitement, à l'esprit des responsables surgirent toutes les complications diplomatiques! L'obus avait franchi les eaux territoriales. L'Angleterre ne considérerait-elle pas cela comme un casus belli? Peut-être qu'un transatlantique atteint, était en ce moment en voie de perdition? Question angoissante. Le tir fut arrêté et l'on tint Conseil de guerre. Une décision énergique prévalut : "Non observé. Continuez le tir".
"Même distance, tir à volonté". Le pointeur très pâle, tant à cause de son émotion que du mal de mer grandissant, prit bien son temps et lâcha son deuxième coup. Hélas, c'était l'instant où pris d'un remou, l'Hirondelle piquait du nez, l'obus éclata en touchant la mer à 25 mètres du bord! Le tir fut de nouveau arrêté, on me consulta, je calmai la crainte en disant que ces obus n'ont pas d'éclats en retour, la poudre n'étant pas assez vive. Une dizaine de coups furent tirés dans des conditions analogues.
Déjà trois des artilleurs vomissaient leur "plata" par-desous bord, quelques "autorités" étaient allé discrètement se laver les mains et rentraient en s'essuyant la bouche.
Subitement se produisit dans son horreur le dénouement! Ce fut tragique, grotesque, inoubliable!
Le pointeur qui n'en pouvait plus, perdit subitement l'équilibre au moment où il avait armé son canon, tomba au milieu des cartouches abandonnant à lui-même le canon de 5.7 Nordenfelt, celui-ci, sous le tangage, prit un mouvement de rotation sur son axe bien graissé et, dans un beau geste de fauchage, fit défiler sa gueule à hauteur de la poitrine des "autorités" les prenant par la droite suivant un rang hiérarchique. Suivant le même ordre, tous les grands chefs se flanquèrent à plat ventre sur le pont.
Jamais je n'oublierai ce coup d'oeil!
Un peu pâle, on se releva, et cette fois on décida d'arrêter définitivement les essais de tir. L'Hirondelle rentra dans les estacades et on jeta l'amarre à la Gare Maritime dans un morne silence. Chacun songeait à la difficulté qui s'était mise en lumière de s'improviser marin militaire. On se sépara sans reparler des événements.
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